Arrêt du Tribunal de commerce de Paris du 17 octobre 2006 relatif à l’exécution d’un pacte d’actionnaire incluant la SNCM.

Publié le par Julie SIMON

Les pactes d’actionnaires sont des contrats particulièrement utiles dans la gestion d’une société, mais aussi particulièrement dangereux en ce que leurs signataires sont souvent tentés de les remettre en cause à un moment ou un autre. La question se pose alors de savoir comme gérer cette inexécution. C’est notamment à cette question, ainsi que celle de la durée du pacte, que le Tribunal de commerce de Paris offre une réponse dans le présent arrêt[1].
 
 
Les faits, quelques peu compliqués, sont les suivants : la Compagnie Méridionale de Navigation (la Méridionale), coopère depuis 1956 avec la SNCM pour la desserte de la Corse. En 1992, la SNCM entre dans le capital de la Méridionale. Cette dernière est alors détenue d’une part par la SNCM, d’autre part par la CMP, dont les deux actionnaires sont la STIM et la CGTH (société détenue à 100% par la SNCM). Lors de l’entrée de la SNCM en 1992, ces divers actionnaires signent un pacte en date du 7 juillet, afin de régir leurs relations. Ce pacte contient notamment une clause de « buy or sell »
 
Début 2006, la SNCM est privatisée. Le 15 mars 2006, la STIM dénonce le pacte d’actionnaires. Cette dénonciation est refusée par la SNCM le 22 mars. Pendant plusieurs mois, les deux parties essaient de se mettre d’accord sur l’appel d’offres pour la desserte de la Corse, en vain, si bien que la SNCM et la Méridionale y répondent chacune de leur côté. Le 21 juillet 2006, la SNCM et la CGTH exercent l’option d’achat des titres de la STIM en vertu de la clause de « buy or sell » contenue dans le pacte. C’est dans ces conditions que la SNCM saisit le Tribunal de Commerce de Paris, afin de voir appliquer les dispositions du pacte de 1992.
 
Le Tribunal commence par rejeter les demandes de nullité de l’assignation et de sursis à statuer formulées par la STIM. Puis le Tribunal répond à la demande principale en plusieurs étapes : il commence par indiquer que la clause de « buy or sell » n’est pas nulle, puis que le pacte était toujours en vigueur au moment de la levée de l’option, enfin que la levée de l’option était bien fondée. En conséquence, le Tribunal désigne un expert pour déterminer le prix de cession des actions en question
 
 
L’arrêt apporte ainsi des réponses sur plusieurs points de droit, bien que parfois de façon contestable.
 
Sous couvert de décider si dans le cas d’espèce le pacte litigieux était encore en vigueur au moment de a levée de l’option, le Tribunal pose comme principe général que la durée d’un pacte d’actionnaires « n’est pas limitée par une date précise, mais est soumise à une limite de fait : la qualité réciproque d’actionnaires ». Si cette solution parait adaptée au présent litige, elle semble néanmoins critiquable en tant que règle de principe.
En effet, comme le fait remarquer le Tribunal, le pacte d’actionnaire est un « contrat spécifique ». A ce titre, il peut être conclu à durée déterminée ou indéterminée, comme tout contrat. C’est donc le principe de liberté contractuelle qui doit s’appliquer : les parties doivent pouvoir indiquer une durée précise d’application du pacte, conformément à leur commune intention. Si l’on peut concevoir que la limite de fait érigée par le Tribunal de Commerce – la qualité d’actionnaires des parties – trouve à s’appliquer lorsque le pacte lui-même la prévoit ou en cas de silence du pacte, son application de manière généralisée est dangereuse et contraire à l’esprit du droit des contrats.
 
Le Tribunal de Paris se prononce également sur la validité d’une clause de « buy or sell ». Une telle clause, aussi appelée clause « d’offre alternative », est une clause de sortie qui permet de trouver une issue en cas de détérioration des relations entre les signataires du pacte. Elle consiste, en cas de mésentente, à obliger l’un des signataires soit à acquérir les actions d’un autre soit à lui vendre les siennes, le refus de l’un l’obligeant à accepter l’autre.
L’argument de la STIM consistait à dire qu’une telle clause constituait une « clause d’exclusion extra-statutaire illicite ». En effet, une clause d’exclusion doit obligatoirement être incluse dans les statuts, en ce sens qu’en retirant à un membre de la société sa qualité d’actionnaire elle intéresse le fonctionnement de cette société et doit donc être incluse dans les statuts[2].
Le Tribunal rejette ici l’argument, en en prenant l’exact contre-pied : il considère que puisque que la clause n’est pas statutaire, cela signifie que ce n’est pas une clause d’exclusion. Le juge désire manifestement donner sa pleine efficacité au pacte. Si la solution doit être approuvée, la démonstration juridique n’est cependant pas des plus convaincantes. Nul doute qu’il s’agit ici d’une clause de rachat et non d’une clause d’exclusion, mais la nuance est mince ; le résultat final est identique : l’actionnaire perd cette qualité contre son gré. Il faut néanmoins applaudir la précision apportée dans cet arrêt, selon lequel la clause est « une promesse réciproque d’achat ou de vente, librement consentie par des professionnels avertis ». Les actionnaires se sont effectivement engagés à l’avance, lors de la signature du pacte, à céder leur participation en cas de survenance d’un des événements prévus dans la clause.
 
Mais ceci pose le problème de savoir lequel des signataires doit se voir imposer l’exécution de la clause. En effet, si la clause est mal rédigée alors chaque signataire voudra essayer de l’imposer à l’autre partie, et il reviendra alors au seul juge de décider. Les conséquences étant particulièrement lourdes pour la personne qui se retrouve exclue, il est à conseiller de rédiger une clause de manière suffisamment précise pour que le doute ne soit pas permis, en posant par exemple des conditions précises et objectives d’application.
En l’espèce, ce n’était pas le cas. La clause prévoyait l’application de l’option d’achat ou vente à celui qui était responsable du désaccord entre les parties. Or les relations s’étant détériorées au fur et à mesure, il était pour le moins délicat d’imputer la responsabilité à un seul des signataires. En ce sens, lé décision du Tribunal peut paraître quelque peu arbitraire.
 
Il est enfin à noter, et cela ne pose pas de difficulté particulière, que le Tribunal a tiré les conséquences de la levée de l’option et mis en œuvre l’exécution forcée du pacte : la STIM étant responsable de la situation, elle devait acheter les actions des parties ayant levé l’option ou à défaut vendre les siennes. Elle était donc tenue ici de vendre ses titres. Le Tribunal constate simplement que la vente a été effective du fait de la levée de l’option ; le bénéficiaire de la promesse de vente est devenu automatiquement propriétaire des titres. Le transfert juridique est déjà intervenu et il ne reste plus qu’à en tirer les conséquences techniques, en imposant la livraison (remise des ordres de mouvements) et le paiement du prix. Pour cette dernière étape, il est fait application de l’article 1843-4 du code civil sur la détermination du prix de cession à dire d’expert, désigné pour l’occasion.
 
 
Cet arrêt ayant retenu des solutions dont certaines paraissent contestables, il est certain que les juridictions supérieures auront à se prononcer ultérieurement sur ces questions d’importance dans la pratique des pactes d’actionnaires.


[1] Tribunal de Commerce de Paris, 2e chambre, 17 octobre 2006, SNCM et autre c/ STIM et autre, n°2006051957
[2] En ce sens : Cass. Com. 8 février 1982.

Publié dans Arrêts

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