Arrêt de la Cour de Cassation du 28 novembre 2006 relatif à la naissance juridique des dividendes.

Publié le par Julie SIMON

Les dividendes sont souvent source de conflit au sein d’une société. La question de leur nature juridique et du moment de leur naissance n’est pas parfaitement délimitée, ni par les textes, ni par la jurisprudence, la réponse de la Cour de Cassation la matière étant pour le moins changeante et incertaine depuis une vingtaine d’années. Si le présent arrêt[1] semble a priori mettre un terme à cette hésitation patente, il pose en tout cas de façon certaine les principaux éléments de réponse à la plupart des questions susceptible d’être posées en matière de dividendes.
 
Les faits sont les suivants : Monsieur Patrick X a cédé à son seul associé Monsieur Alexis X ses parts représentant la moitié du capital de la SNC Alexis X (la SNC) par acte sous seing privé du 17 octobre 1997. Cet acte indiquait qu’au 31 juillet 1997 le compte courant du vendeur dans la société était créditeur d’une somme qui lui serait versée en plus du prix de vente, l’acheteur étant alors subrogé dans les droits du vendeur auprès de la SNC. Une deuxième SNC existe avec les mêmes associés, la SNC Patrick X. Un second acte du même jour, non enregistré, prévoit que la quote-part des bénéfices au 31 juillet dans les deux SNC seraient affectée à chaque associé et que les sommes dues par Alexis X à Patrick X seraient réglées par virement du compte de Alexis X à celui de Patrick X dans la deuxième SNC.
L’administration fiscale, considérant que la valeur des parts vendues indiquée dans l’acte de cession ne représentait pas la valeur réelle, notifie un redressement sur droits d’enregistrements à l’encontre de Monsieur Alexis X. Ce redressement prend en compte dans la base de calcul la somme créditée sur le compte de Patrick X au titre du deuxième acte.
 
Monsieur Alexis X, contestant l’inclusion de ces sommes, saisit le Tribunal afin d’obtenir l’annulation du redressement. Sa demande ayant été rejetée, il interjette appel auprès de la Cour d’Appel de Toulouse. Celle-ci, dans un arrêt du 7 juin 2004, rejette également sa demande. L’appelant écarté se pourvoi alors en cassation. La Chambre Commerciale, rejetant elle aussi ses prétentions, donne entièrement raison à la Cour d’Appel et pose ce qui semble être une solution de principe à cette question certes théorique, mais néanmoins récurrente et très utile en pratique.
 
 
Cet arrêt pose une solution claire sur deux points largement discutés par la doctrine : la nature des dividendes et leur naissance juridique.
 
Concernant tout d’abord la nature des dividendes, l’arrêt de la Chambre commerciale énonce comme une évidence que « les sommes qui, faisant partie du bénéfice distribuable sont, après décision de l’assemblée générale, réparties entre les associés, participent de la nature de fruits ». Les dividendes sont donc des fruits. Cela signifie qu’ils se voient attacher toutes les conséquences juridiques liées à la nature de fruit. Ainsi, le bénéficiaire de ces dividendes aura les droits d’un usufruitier en cas de démembrement de la propriété des titres donnant lieu à versement de dividende. S’applique également l’article 1652 du code civil relatif aux intérêts dus sur le prix de vente[2].
L’on peut se demander quel type de fruits sont les dividendes. L’article 582 du code civil distingue en effet trois types de fruits : naturels, industriels et civils. La distinction, si elle peut sembler superflue, est en réalité d’une grande importance au regard de l’acquisition des fruits. Les fruits civils sont en effet « réputés s'acquérir jour par jour et appartiennent à l'usufruitier à proportion de la durée de son usufruit» en vertu de l’article 586, contrairement aux fruits naturels et industriels, régis par l’article 585. Cela voudrait donc dire que si les dividendes étaient des fruits civils, leur montant serait réparti prorata temporis entre les associés en cas de cession en cours d’année en l’absence de précision dans l’acte de cession. La Cour de Cassation ne se prononce pas sur ce point. Toutefois sa jurisprudence tend à penser qu’elle écarterait cette hypothèse, car elle semble appliquer aux dividendes – sinon la qualification de fruits naturels ou industriels – du moins leur régime juridique.
 
Concernant dans un second temps la naissance juridique des dividendes, la Cour de Cassation se montre beaucoup plus explicite. Rappelons que la position qu’elle adopte n’est pas précisément novatrice, puisqu’elle confirme plusieurs arrêts en la matière[3]. Elle reprend d’ailleurs une jurisprudence de 1990 relative à l’assiette des droits d’enregistrements[4]. La Cour dans le présent arrêt pose comme principe que les dividendes « n’ont pas d’existence juridique avant l’approbation des comptes de l’exercice par l’assemblée générale, la constatation par celle-ci de l’existence de sommes distribuables, et la détermination de la part qui est attribuée à chaque associé ». La formule est moins tranchante qu’en 1990, où la Cour indiquait que « c’est la décision de l’assemblée générale de distribuer les [dividendes] qui confère à ceux-ci leur existence juridique ». Il semble toutefois que cette modification de terminologie ne constitue pas un revirement mais plutôt une précision supplémentaire quant au moment exact de la naissance juridique des dividendes. Cette précision aura des conséquences moins théoriques que pratiques.
Ainsi, la conséquence pratique pour le demandeur en l’espèce est donc le rejet de son pourvoi. La Cour estimait en effet que le prix versé participait d’une évaluation anticipée du prix de cession des parts, et que c’est à juste titre que l’administration fiscale avait procédé au redressement de Monsieur Patrick X. La Cour montre ainsi que le moment de naissance des dividendes (après la décision d’attribution par l’assemblée) est une règle impérative, les associés ne pouvant nullement y déroger par convention.
 
La jurisprudence ayant été fluctuante en la matière ces dernières années, nul doute qu’il faudra encore plusieurs arrêts de cette trempe pour fixer définitivement la solution.


[1] Cass. Com. 28 novembre 2006, pourvoi n°04-17486, publié au Bulletin
[2] Article 1652 du code civil : « L’acheteur doit l’intérêt du prix de a vente jusqu’ai paiement du capital […] si la chose vendue et livrée produit des fruits ou autres revenus ».
[3] Par exemples Cass. Com 5 octobre 1999, D. 1999 AJ p 69 ; Cass. Com 5 décembre 2000, RJDA 2001 n°327 ; Cass. Com 19 septembre 2006.
[4] Cass. Com 23 octobre 1990, D 1991, Jur p 173

Publié dans Arrêts

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