Arrêts du Conseil d’Etat du 27 octobre 2006 relatif à l’application de l’article 6 de la CEDH aux décisions de sanctions prononcées par l’AMF.

Publié le par Julie SIMON

 La tendance judiciaire actuelle est à la contestation des décisions de sanctions de toutes les juridictions et instances sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui garantit le droit à un procès équitable. On pouvait dès lors se demander si les organes de l’AMF, et plus particulièrement la commission des sanctions, allait échapper à cet engouement. Le Conseil d’Etat nous répond par la négative dans un arrêt de principe du 27 octobre 2006.

Les faits étaient les suivants :
Le conseil de discipline de la gestion financière a engagé des poursuites disciplinaires à l’encontre de Messieurs A et D, ainsi que de la société « Next Up » dont la liquidation judiciaire est assurée par la SELAFA Mandataires judiciaires Associés (la SELAFA) et de son président Monsieur B, pour des agissement commis entre 2001 et 2002.
La commission des sanctions de l’AMF a ensuite statué sur ces affaires et rendue une décision commune le 3 novembre 2004, dans laquelle elle condamne Monsieur B en lui infligeant un blâme assorti d’une interdiction de gérer le portefeuille d’un tiers pendant trois et d’une sanction pécuniaire de 70.000€, Monsieur A en lui infligeant un avertissement et une sanction pécuniaire de 30.000€ et la société « Next up » en lui infligeant un blâme et une sanction pécuniaire de 150.000€.
Les trois personnes condamnées exercent un recours auprès du Conseil d’Etat en vue de faire annuler cette décision sur le fondement du non respect de l’article 6 de la Convention EDH.

L’article 6, intitulé « Droit à un procès équitable », dispose :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à:
a. être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;
b. disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;
c. se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;
d. interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;
e. se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience.
»

Le Conseil d’Etat devait dès lors décider si cet article était applicable aux organes de l’AMF. En effet, les décisions de la commission des sanctions portent bien sur le « bien-fondé de toute accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 §1.

Le Conseil d’Etat, très méthodiquement, va se prononcer successivement sur l’applicabilité du paragraphe 3 puis du paragraphe 1 de l’article 6.

La Haute juridiction administrative commence par relativiser l’applicabilité de l’article 6§3 aux décisions des organes de l’AMF en affirmant que, eu égard au fait que ces décisions étaient soumises au contrôle de pleine juridiction de Conseil d’Etat, la méconnaissance de l’article 6§3 n’entraîne pas dans tous les cas une méconnaissance du droit à un procès équitable. On pourrait donc croire que cet article n’est pas applicable.
Toutefois, la présente décision utilise l’expression « pas dans tous les cas », ce qui indique que de tels agissements peuvent parfois entraîner une condamnation sur le fondement de l’article 6§3. De plus, le Conseil s’empresse d’ajouter que, même si les organes de l’AMF ne sont pas des juridictions au sens du droit interne (une juridiction doit être impartiale, indépendante, établie par la loi et apte à trancher un conflit), l’application du principe des droits de la défense est requise dès l’origine de la procédure pour garantir le respect du principe du contradictoire.
Le Conseil d’Etat impose donc avec force l’obligation pour l’AMF de respecter le principe du contradictoire et des droits de la défense énoncé par l’article 6§3 de la Convention EDH. Le Conseil détaille ensuite les divers droits inclus dans ce principe en reprenant point par point le paragraphe 3. Il précise toutefois que la méconnaissance du droit à l’assistance gratuite d’un avocat ne peut être invoquée seule à l’encontre d’une décision de l’AMF. Ce seul grief ne serait donc pas suffisant à faire annuler une telle décision.
En l’espèce, le Conseil d’Etat estime que le principe du contradictoire n’avait pas été méconnu. Il précise néanmoins, pour rappeler l’importance de ce principe, que s’il avait été méconnu il ferait obstacle à la reprise des poursuites sans engager une nouvelle procédure après l’annulation de la décision en cause.

C’est sur le fondement du principe d’impartialité, incluse implicitement dans l’article 6§1 en tant que principe général du droit, que la décision de la commission des sanctions va être annulée. En effet, en l’espèce un des membres de la commission était associé dans la même société que l’une des personnes condamnées – Monsieur D – or celui-ci s’est vu infliger une condamnation moins sévère que les autres. Le Conseil d’Etat estime qu’en raison du principe d’impartialité, le membre de la commission n’aurait pas dû participer aux délibérations, et par conséquent annule purement et simplement la décision de sanctions de l’AMF.

Ainsi, désormais l’AMF devra faire attention à bien respecter les exigences d’impartialité et de contradictoire si elle ne veut pas voire ses décisions remises en questions.

Publié dans Arrêts

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