Le très attendu arrêt Adidas du 9 octobre 2006

Publié le par Julie SIMON

C’est un arrêt très attendu par les mondes juridique mais aussi politique et bancaire que rend la Cour de Cassation le 9 octobre 2006.
 
Les faits étaient les suivants : Bernard Tapie et son épouse, qui avaient organisé leur patrimoine en diverses sociétés, détenaient via des holding et grâce au concours bancaire de la SDBO (devenue CDR), filiale du crédit lyonnais, les actifs d’Adidas.
 
Devant rembourser les crédits octroyés, les sociétés du groupe Bernard Tapie concluent avec la SDBO un engagement de céder à un prix fixe à un acquéreur non désigné leur participation dans Adidas, et donnent mandat à la SDBO de leur présenter un acquéreur.
 
Puis les actifs d’Adidas sont revendus au double du prix avec au passage une jolie cagnotte d’un milliard de francs pour le crédit lyonnais.
 
Les sociétés Bernard Tapie se trouvent rapidement en cessation de paiement puis en redressement et liquidation judiciaire (sans avoir au passage affecté le produit de la première vente des actifs d’Adidas au remboursement des crédits).
 
Les mandataires judiciaires et les époux Tapie assignent alors la SDBO et le Crédit lyonnais, sa société mère, en leur reprochant d’avoir dissimulé un accord de revente au double alors même que les conventions entre le groupe Tapie et la SDBO étaient désignées pour un montant fixe.
 
La Cour d’appel accueille l’action des mandataires et des époux Tapie : La faute de la SDBO et du crédit Lyonnais consiste d’abord dans un manquement à leur obligation de mandataire dès lors qu’ils s’étaient portés acquéreurs des participations alors qu’ils étaient sensés trouver des acheteurs, d’autre part en un défaut de loyauté (en n’ayant pas fait connaître à leur mandant les négociations en vue d’une revente au double), enfin dans le refus du banquier d’accorder au groupe Tapie un crédit aux fins de conclure une opération plus avantageuse pour lui.
La Cour d’appel avait ainsi considéré que le préjudice des époux Tapie avait consisté en une perte de chance de pouvoir revendre les participations au double du prix.
 
Interrogée sur le rôle d’une banque d’affaires intermédiaire lors d’une cession de participation, plus précisément sur le point de savoir dans quelles mesures une société mère peut être responsable du fait de sa filiale, la Haute juridiction, réunie en Assemblée plénière, répond que « la cour d’appel n’avait pas caractérisé les éléments qui auraient permis d’établir selon la jurisprudence en la matière, que le crédit lyonnais était obligé par un contrat auquel il n’était pas parti. Il n’était pas prétendu que la SDBO était une société fictive, que son patrimoine se serait confondu avec celui de sa maison mère ou que le crédit lyonnais se serait immiscé dans l’exécution du mandat délivré à sa filiale de façon à créer pour les mandants une apparence trompeuse propre à leur faire croire que cet établissement était aussi leur co -contractant ». L’assemblée plénière rappelle ainsi le principe de l’irresponsabilité de la société mère du fait de sa filiale, lequel principe se voit octroyer une importance toute particulière puisque rendu aux visas des articles 1134 du code civil (relatif à la force obligatoire du contrat) et 1165 du code civil, relatif aux tiers. (I)
 
Egalement interrogée sur le point de savoir dans quelles mesures le banquier dispensateur de crédit peut refuser d’accorder un prêt, elle répond qu’ « il n’entre pas dans la mission du mandataire de financer l’opération par laquelle il s’entremet et, hors le cas où il est tenu par un engagement antérieur , le banquier est toujours libre, sans avoir à justifier sa décision qui est discrétionnaire, de proposer ou de consentir un crédit qu ‘elle qu’en soit la forme ou de s’abstenir ou de refuser de le faire » La Haute juridiction condamne ainsi l’analyse de la cour d’appel retenant la responsabilité du groupe Crédit Lyonnais du fait pour celui ci d’(avoir refusé au groupe Bernard Tapie un financement qu’il avait en revanche octroyé à certains des cessionnaires des parts cédées par le groupe. Là encore cet attendu est rendu aux visas des articles 1134 et 1147 du code civil, ce dernier étant relatif à la responsabilité contractuelle. (II)
 
 
I/ Le rappel du principe de l’irresponsabilité de la société mère du fait de sa filiale
 
En rappelant le principe de la stricte séparation des responsabilités, l’Assemblée plénière se conforme à une jurisprudence antérieure bien établie (A).
 
On pourra toutefois s’interroger sur une question évoquée par la Cour d’appel mais non reprise par l’Assemblée plénière : l’obligation de loyauté en matière bancaire (B).
 
A/ La stricte séparation des responsabilités : Une solution attendue au regard de la jurisprudence antérieure.
 
Le principe, en matière de responsabilités de la société mère (ou d’une société sœur à raison des engagements pris par une société du même groupe) est celui de la stricte séparation des responsabilités. Ce principe est fondé sur la théorie générale des obligations et l’effet relatif des contrats, la Cour ayant visé les articles 1134[1] et 1165[2] du code civil.
 
La Cour de Cassation rappelle dans cet arrêt que le principe ne souffre que de deux exceptions : la fictivité des patrimoines d’une part, la théorie de l’apparence d’autre part. Elle déclare en effet : « Il n’était pas prétendu que la SDBO était une société fictive, que son patrimoine se serait confondu avec celui de sa maison mère ou que le crédit lyonnais se serait immiscé dans l’exécution du mandat délivré à sa filiale de façon à créer pour les mandants une apparence trompeuse propre à leur faire croire que cet établissement était aussi leur cocontractant ».
 
Sur ces deux exceptions :
 
1) La théorie de la fictivité permet de transpercer l’opacité de la personne morale, et de considérer que les patrimoines de la société mère et de la filiale sont de fait confondus. Pour un exemple de cette théorie, voir Cass. Com. 19 avril 2005 (n°05-10.094).
 
2) La théorie de l’apparence : c’est le cas si une société se présente en apparence comme cocontractante du tiers qui recherche sa responsabilité (Com, 2 décembre 1997), apparence qui peut procéder notamment de son immixtion dans la relation contractuelle. Or en l’espèce, Bernard Tapie n’étant pas un novice, il paraît étonnant qu’en échangeant des actes juridiques avec la seule SDBO il ait pu croire contracter avec le Crédit Lyonnais.
Remarque : il ne faut pas confondre le fait pour une filiale de rendre compte de son activité à son actionnaire de contrôle et le fait pour ce dernier de se substituer à la filiale au point de prendre à sa place les décisions juridiques relatives aux relations contractuelles avec un tiers.
En effet, il paraît important de distinguer le droit d’ingérence interne de l’immixtion dans les relations contractuelles… C’est pourquoi la Cour de cassation précise que « la Cour d’appel (…) a statué à par des motifs impropres à faire apparaître que l’immixtion de crédit lyonnais dans l’exécution du mandat délivré à sa filiale avait été de nature à créer une apparence trompeuse pour les mandants propres à leur faire permettre de croire légitimement que cet établissement était aussi leur contractant ».
 
La Haute juridiction rejette ainsi l’idée selon laquelle le crédit lyonnais serait responsable du fait de sa filiale, tenue quand à elle par un contrat de mandat. Notons toutefois que la Cour dit qu’  « il n’était pas prétendu que », de telle sorte qu’on pourrait se demander ce qui se serait passé si l’une ou l’autre des exceptions précitées avaient été invoquées dans la procédure…
 
Notons également que l’Assemblée plénière précise que «  les mandataires avaient choisi d’agir sur le seul terrain contractuel…  », et nous pouvons nous dès lors nous demander si la solution aurait été différentes si l’action avait également été intentée sur le terrain délictuel.
 
En effet, au regard des faits d’espèce le crédit lyonnais a eu un rôle important dans l’étude et le financement d’Adidas, la Haute direction de la banque avait dû s’impliquer, conduite à donner son accord à une « opération qui vise à remplacer le risque Tapie par le risque Adidas »… En même temps le fait de constater que Bernard Tapie avait des relations d’affaires continues et habituelles avec le crédit lyonnais et certaines de ses filiales ne signifie pas le Crédit Lyonnais puisse être considéré comme cocontractant.
 
 
Toutefois même si la SDBO était seule mandataire, n’aurait t-il pas été possible de reconnaître la responsabilité du crédit lyonnais au titre d’une complicité dans la faute de la SDBO ?
 
Il paraît dès lors intéressant de s’interroger sur l’obligation de loyauté du crédit lyonnais (B).
 
 
B/ L’absence de faute engageant la responsabilité des banques : Une solution acceptable  au regard de l’obligation de loyauté ?
 
En n’informant pas Bernard Tapie des négociations en cours…le crédit lyonnais a tout de même empoché la jolie somme d’un milliard de francs..
 
C’est ainsi que la cour d’appel de Paris avait considéré en 2005 que « l’obligation d’informer son mandataire, le devoir de loyauté et de transparence et de soucis de déontologie de toute banque en particulier d’affaires exigeait de faire connaître à Bernard Tapie, client bénéficiant d’une aide considérable, (…) d’une part qu’un repreneur avait été contacté (..) d’autre part que le crédit lyonnais était prêt à financer l’opération »
 
La cour d’appel de Paris avait caractérisé l’étroitesse des relations entre la banque et Bernard Tapie pour retenir l’existence d’une obligation de loyauté renforcée.
 
Si « le cessionnaire n’est tenu d’informer le cédant ni des négociations tendant à l’acquisition par des tiers d’autres titres de la même société, ni de celles qu’il conduit lui même avec ce tiers en vue de lui céder ou de lui apporter les titres faisant l’objet de la cession » (Com 12 mai 2004), il existe une « exception au nom de l’obligation de loyauté lorsque le cessionnaire est le dirigeant social de la société dont les titres sont cédés » (Com, 22 février 2005 )
 
Reste à se demander aussi ce que savait réellement Bernard Tapie…
La Cour de cassation n’évoque pas ici la question de l’obligation de loyauté des banques. Cette question sera à nouveau évoquée devant la cour d’appel de renvoi.
En l’espèce le crédit lyonnais n’est donc pas reconnu responsable du fait de sa filiale, n’a pas commis de faute et donc n’a pas à réparer de préjudice.
 
 
Cet arrêt est aussi intéressant en ce qu’il rappelle la liberté du banquier dispensateur de crédit d’accorder ou de refuser un prêt.
 
 
II/ La confirmation de la liberté du banquier du banquier en tant que dispensateur de crédit
 
La Cour rappelle le principe suivant lequel le banquier a le choix d’accorder ou de refuser un prêt (A)
 
L’Assemblée plénière, en prononçant cette solution, a évité un tollé dans le monde bancaire (B)
 
A/Le choix d’accorder ou de refuser librement un prêt : une « liberté fondamentale » du banquier
 
Les hauts magistrats ont estimé que la cour d’appel avait « méconnu une jurisprudence constante relative au crédit ». En effet, la banque avait refusé de prêter de l’argent à Bernard Tapie. Pour la Cour de cassation, cela ne constitue pas une faute car « le banquier est toujours libre de proposer ou de consentir un crédit, qu’elle qu’en soit la forme, ainsi que de s’abstenir ou de refuser de le faire ».
 
En l’espèce en effet l’Assemblée plénière précise que le banquier est « toujours » libre « sans avoir à justifier sa décision »,« qui est discrétionnaire » de consentir un crédit qu’ « elle s’en soit la forme ».
 
Nous pouvons donc constater que l’assemblée plénière insiste fortement, donnant à cet attendu de principe, déjà pris au regard des articles 1134 et 1147 du code civil, une portée d’autant plus importante.
 
Cette solution, confirme encore la jurisprudence antérieure, par exemple Com. 22 février 2005 (qui précise que « lors d’une rupture de crédit , le banquier n’a pas à indiquer la motif de sa décision »).
 
Une solution contraire aurait fait trembler le monde bancaire.
 
 
B/ Une solution intéressante au regard des enjeux pratiques en découlant
 
Une solution contraire aurait provoqué un tollé dans le monde bancaire en ce qu’elle aurait étendu considérablement la responsabilité des banques.
 
Ainsi que l’a précisé Me Vier, Avocat du crédit lyonnais, « une telle évolution suppose un débat, qui serait posé avec soin et ne peut se faire en deux lignes au détour d’un arrêt et sur mauvaise cause ».
 
Au delà de l’aspect purement juridique, il est important de constater que la personnalité particulière du principal intéressé a sans doute influé sur la décision des juges, qui ont cassé l’arrêt d’appel sur les conclusions non conformes de l’avocat général..
 
Bernard Tapie, dont le passé politico judiciaire est pour le moins trouble est désormais placé dans une situation délicate, visé par des poursuites de banqueroutes.
 
Après la décision de Bernard Tapie de renvoyer le dossier Adidas à la Cour d'appel de Paris, le tribunal correctionnel a reporté au 17 novembre l'audience sur le procès pour banqueroute de Bernard Tapie.
 
Renvoyé en appel et susceptible de repasser devant la Cour de cassation, le dossier Adidas pourrait trouver une issue d'ici un ou deux ans.


[1] Article 1134 : Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.
[2] Article 1165 : Les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l'article 1121.

Publié dans Arrêts

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